Les résidents ou patients à risques de fugue doivent être identifiés pour anticiper tout passage à l’acte. Mais cette identification n’est pas toujours aisée… Il convient de réfléchir en équipe pour déterminer quelles barrières de prévention choisir et déployer pour éviter des événements indésirables graves qui ont des impacts lourds pour les familles mais également pour les soignants.
M. P. âgé de 88 ans, est atteint de la maladie d’Alzheimer depuis près de 3 ans. Il vit toujours à son domicile avec son épouse âgée de 89 ans. Cette dernière explique à son médecin traitant, qui est venu renouveler les ordonnances mensuelles du couple, qu’elle est très fatiguée ces dernières semaines, car son mari devient de plus en plus dépendant et il commence à avoir des réactions agressives lorsqu’elle le sollicite pour certaines tâches alors qu’il les réalisait toujours avec plaisir jusqu’à maintenant. Elle précise également qu’il lui arrive de ne plus la reconnaître plusieurs fois dans la journée.
Le médecin demande comment se passe les nuits. Elle décrit des nuits moins calmes, car elle retrouve son mari dans la cuisine en train de vider le lave-vaisselle par exemple, ou de sortir les casseroles des tiroirs…
Le médecin traitant propose alors à l’épouse d’organiser un séjour en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) pour une courte période – 3 à 4 semaines afin qu’elle puisse se reposer avant les fêtes de fin d’année. L’autre solution aurait été de pouvoir bénéficier d’un hôpital de jour spécialisé et d’obtenir une place 2 à 3 fois dans la semaine, mais, malheureusement, il n’y a pas ce type structure à proximité de leur domicile.
Mme P. retient cette proposition, mais précise au praticien qu’elle va en parler à ses 2 enfants très vite pour leur demander leur avis. Les 2 filles sont donc consultées : la première valide la proposition, la seconde reste réticente car elle craint que ce séjour ne le rende plus confus, mais ne s’y oppose pas car elle avait constaté que sa maman était proche de l’épuisement.
Le médecin coordonnateur, en charge de l’évaluation médicale des résidents, fait le point de la situation de ce candidat avec son médecin traitant et donne un avis favorable dans le cadre du bilan de préadmission.
La directrice de l’établissement accepte la demande. Le médecin coordonnateur retranscrit le traitement habituel du patient dans le dossier patient informatisé de l’institution. Il précise à la directrice de l’établissement qu’il fera l’évaluation gérontologique du résident lors de son passage prochain au sein de l’établissement, le jeudi.
M. P. arrive au sein de l’EHPAD un lundi, accompagné de son épouse et d’une de ses filles. Il est installé dans une chambre individuelle et ses proches disposent plusieurs effets personnels pour personnaliser son environnement.
La première journée se passe sans événement particulier, les soignants précisent dans le dossier que le résident est calme et qu’il participe aux activités…
Le lendemain, son épouse passe voir son mari. Il semble détendu, la reconnaît bien et les soignants précisent que l’adaptation à ce nouveau milieu de vie se passe plutôt bien.
Le mercredi, les soignants ont retrouvé M. P. dans le jardin… il est sorti seul prendre l’air…
Dans la nuit de mercredi à jeudi, l’aide-soignante de nuit s’aperçoit que M. P. n’est pas dans sa chambre vers 3 h du matin (porte de la chambre ouverte) ; elle prévient son autre collègue. Après un tour de l’établissement, elles ne le retrouvent pas… en revanche, elles retrouvent une porte ouverte (habituellement fermée), donnant sur l’extérieur de l’établissement.
Le personnel de nuit pense alors à une fugue. Cet événement étant envisagé par l’Institution, l’équipe de nuit alerte alors la directrice de l’établissement. Cette dernière demande à ce que la gendarmerie soit prévenue, que l’on demande à l’astreinte technique de se déplacer et de vérifier les abords extérieurs de l’Institution.
Pour finir, le résident est retrouvé au fond du parc de l’EHPAD, vêtu de son pyjama, en chien de fusil et inconscient. Le 15 prévenu envoie une ambulance médicalisée, le patient est retrouvé avec une température centrale à 33,5°C. Il est transféré en secteur hospitalier ; les soins permettront de le réchauffer, puis il sera transféré en secteur gériatrique pour bilan.
Cette erreur, classée comme Événement Indésirable Grave (EIG), a eu comme conséquences :
Devant cet événement, la directrice de l’établissement souhaite mieux comprendre la genèse de cet EIG. Elle contacte la Direction Qualité et Gestion des Risques du groupe de maisons de retraite pour organiser une analyse externe, car un sentiment de culpabilité a été exprimé par l’équipe soignante.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents médicaux.
C’est l’équipe soignante de nuit qui a détecté l’absence du résident, car la porte de sa chambre était ouverte lors de leur ronde de routine.
Les conséquences de cet EIG pour le patient ont été médicalement maîtrisées :
On recense également :
Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont fonctionné et celles qui ont été déficientes.
Cet EHPAD réfléchit sur la valeur ajoutée que peut avoir la grille ESCAPE, qui a pour objectif de mieux repérer le risque de fugue du résident.
Cette démarche s’inscrit dans la dynamique de l’évaluation gérontologique à l’entrée du résident en Institution.
Le périmètre de cette réflexion borde également la question de "qui ?" peut réaliser cette évaluation, sachant que le médecin coordinateur n’est présent qu’une seule journée par semaine. La piste de l’IDE est suggérée, associée à une formation ad hoc en intra ou extra du ou des professionnels retenus.
Cette réflexion s’appuie sur une visite de risques, commanditée par la direction du groupe d’EHPAD. Cette dernière avait signalé l’absence de système de vidéoprotection aux sorties du bâtiment. Les images captées seraient centralisées sur un écran positionné en salle de soins et également enregistrées pendant 48 heures pour les visionner en cas de fugue, et ce, 24h/24, 7j/7.
Cela permettrait de visualiser le point de sortie du résident fugueur pour gagner du temps dans les recherches.
De plus, en période nocturne, toutes les portes d’accès du bâtiment pourraient être équipées d’un détecteur d’ouverture, activé sur le principe d’une alarme anti-intrusion, avec un report de signalement sur les téléphones des professionnels de nuit.
Ces mesures pourraient être retenues après discussion au sein du groupe éthique dans lequel siègent des représentants des résidents.
Ce système a été évalué comme sous utilisé au sein de cette structure. La directrice souhaite que cet outil soit un vrai levier pour améliorer la sécurité des résidents mais également des professionnels.
C’est elle-même qui fera une nouvelle sensibilisation auprès des professionnels de la structure pour expliquer son intérêt et rappeler que la charte de non-punition liée à ces déclarations est effective.
Elle souhaite également que les familles des résidents puissent signaler tout événement indésirable qu’elles auraient pu constater ; ce point sera abordé lors du prochain conseil de la vie sociale de l’établissement.
La possibilité de mobiliser les pompiers a été évoquée. Cette solution sera discutée avec le responsable du centre de secours local du Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) et pourra faire l’objet d’une convention et d’une procédure ad hoc.
Ces renforts doivent permettre de retrouver plus rapidement le résident fugueur.
L’approche systémique dans la construction d’une organisation est indispensable.
La bonne connaissance des risques doit éviter leur répétition, et ce, pour tous les métiers impactés par la dynamique de sécurité en santé.
Le recueil des événements indésirables et leur analyse quelle que soit la nature de la structure de soins doit permettre d’améliorer la qualité et la sécurité des soins en institution.